19 octobre 2022

Un travail décent pour les travailleur·euses domestiques: une réalité onze ans après l’adoption de la Convention 189 de l’OIT ?

Onze ans après l’adoption de la Convention 189 et de la Recommandation 201 de l’OIT sur le travail décent pour les travailleur·euses domestiques, et dix ans après son entrée en vigueur, plus de 100 femmes protagonistes se sont réunies pour évaluer les progrès accomplis et échanger des bonnes pratiques et différentes stratégies de suivi de cette importante norme internationale. Le 7 octobre, date désignée comme JMTD (Journée mondiale pour le travail décent), des responsables de mouvements sociaux et syndicaux de quatre continents se sont réuni·es lors du Forum virtuel : 10 ans de la C189 et R201, qui a été organisé par le Réseau international pour le droit à la protection sociale INSP!R, avec le soutien des organisations belges WSM et la Confédération des syndicats chrétiens (CSC).

« Nous ne devons pas nous cacher parce que nous sommes des travailleuses domestiques »

Soyons très clair·es : il reste beaucoup de travail à faire. Connectée depuis la Guinée (Afrique de l’Ouest), Assiatou Balde, de l’Union syndicale des travailleurs de Guinée, nous parle d’une travailleuse domestique qui n’a pas accepté le harcèlement auquel elle était confrontée dans son travail. Le fait de rejeter sa situation et de s’y opposer a entraîné son emprisonnement. Grâce au soutien du syndicat, elle a été libérée après deux mois.

La violence et le harcèlement sont l’une des violations les plus importantes auxquelles les travailleuses domestiques sont confrontées dans leur travail. En raison de l’invisibilité de leur travail, dans les maisons privées, selon le·la propriétaire et sa volonté ou non de respecter les droits et d’offrir de bonnes conditions de travail. « Mais ce n’est pas la seule violation de nos droits, poursuit Assiatou. De nombreuses travailleuses domestiques en Guinée n’ont même pas un seul jour de congé. De plus, elles doivent se lever à 6 heures du matin et ne se coucher qu’à 10 heures du soir ». Dans le cadre de cette journée de travail exagérée, les travailleuses fournissent toutes sortes de soins, ajoute Grâce Papa, de la Fédération européenne des syndicats de l’alimentation, de l’agriculture et du tourisme, qui représente également les travailleur·euses domestiques : « le matin, la garde des enfants, puis le nettoyage de la maison et la lessive, et le soir, les soins aux adultes et aux grands-parents s’ils·elles sont à la maison ». Et pendant tout ce temps, les travailleuses domestiques doivent effectuer leur travail de la manière la plus invisible qui soit. « Mais ce n’est pas parce que nous sommes des travailleuses domestiques que nous devons nous cacher », conclut Assiatou. « Nous devons être fières de notre travail et nous considérer comme des travailleur·euses comme les autres ».

Une mise en œuvre difficile

Aujourd’hui, seuls 35 pays ont ratifié la Convention 189, mais la bonne mise en œuvre de la Convention n’est pas encore une réalité dans de nombreux pays. Au Pérou, la Convention a été ratifiée en 2018, après plusieurs années de campagne et de plaidoyer de la part des organisations syndicales et des mouvements de travailleuses domestiques tels que l’Institut pour la promotion et la formation des travailleuses domestiques IPROFOTH. « Les défis de la mise en œuvre de la loi sur le travail domestique restent nombreux , déclare Ernestina Ochoa d’IPROFOTH. Ces travailleuses sont payées bien en dessous du salaire minimum (la CSI a calculé que, dans le monde entier, les travailleur·euses domestiques gagnent 50 % du salaire mensuel moyen par rapport aux autres salarié·es) ; et la grande majorité d’entre eux·elles ne sont pas affilié·es au système de sécurité sociale (santé, retraite, etc.). Notre grand travail maintenant est de continuer à sensibiliser les travailleuses, à former et à diffuser le contenu de la loi, afin qu’elles soient plus nombreuses à connaître son contenu et leurs droits ».

Même témoignage de Lissy de l’organisation des syndicats indiens CTUI en Inde. L’Inde n'a pas encore ratifié la C189, mais le syndicat a fait de gros efforts ces dernières années pour rendre le travail des travailleuses domestiques plus visible. « Le plus important est de sensibiliser et de former les travailleuses domestiques, afin qu’elles connaissent leurs droits, apprennent à les revendiquer et à négocier. » En Inde, les travailleuses domestiques sont principalement des femmes issues de groupes minoritaires de la société, qui se trouvent déjà dans des situations précaires et vulnérables. « Notre stratégie consiste à sensibiliser et à mener des campagnes politiques du niveau local au niveau national. Nous menons actuellement une campagne pour sensibiliser les membres du parlement national qui ont également des travailleuses domestiques chez eux·elles ! Nous leur demandons quelles sont les conditions de travail de leurs employées de maison, mais ils·elles n’aiment pas en parler. L’Inde est une société très patriarcale. Mais pour nous, c’est une stratégie de sensibilisation, car si nous attendons d’eux·elles qu’ils·elles votent des lois en faveur des travailleuses domestiques, ils·elles doivent commencer à appliquer de bonnes conditions dans leurs propres maisons. Aujourd’hui déjà, trois états du pays disposent d’un salaire minimum pour les travailleuses domestiques.

Les conventions comme cadre de référence

Luc Cortebeeck, qui était le porte-parole des travailleur·euses à la conférence de 2011 lorsque la Convention 189 a été négociée et adoptée, a été très impressionné par les témoignages et par tant d’engagement. « Ce fut l’un des moments les plus historiques pour l’OIT, une dynamique de nombreuses interactions des travailleuses domestiques qui étaient présentes à Genève, avec les gouvernements et les employeurs. C’était totalement nouveau pour beaucoup d’entre elles. Mais nous sommes parvenus à traduire leurs demandes dans l’instrument international. Le point clé est la reconnaissance des travailleuses domestiques en tant que travailleuses. Cette reconnaissance ne peut être sous-estimée, ce qui signifie que toutes les conventions et recommandations de l’OIT leur servent de cadre de référence et doivent leur être appliquées comme aux autres travailleur·euses : la Convention 190 contre la violence et le harcèlement dans le monde du travail, les conventions sur la sécurité et la santé au travail, sur le travail des enfants et le travail forcé, etc. "S’il est de la responsabilité des gouvernements de ratifier et de mettre en œuvre ces conventions, le rôle des syndicats et des autres organisations qui organisent les travailleur·euses, domestiques et autres, est crucial pour contrôler et suivre la bonne mise en œuvre. » « Les droits ne sont jamais acquis pour toujours », conclut Luc Cortebeeck. « L’engagement des mouvements sociaux est la chose la plus importante pour continuer à faire pression sur les gouvernements et à exiger des droits, avec les conventions de l’OIT comme cadre de référence. »

 

Gijs Justaert | WSM

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