19 mars 2020

Les gouvernements d'Amérique latine font face à la crise du coronavirus sans système de protection sociale

L'absence de protection sociale en cas de crise affecte encore plus les familles à faibles revenus

La pandémie de coronavirus a, une fois de plus, mis en évidence le manque de protection sociale au Pérou et en Amérique latine. Là-bas, plus de 75% des travailleurs sont dans le secteur informel et n'ont pas accès à la sécurité sociale, ni aux soins de santé et encore moins à une pension. Le 31 décembre 2019, une loi a été adoptée stipulant que tous les péruviens peuvent avoir accès à un système de santé intégré (SIS). Toutefois, ce dernier n'a toujours pas été mis en œuvre.

Pour faire face au coronavirus, le gouvernement péruvien, comme beaucoup d'autres gouvernements, développe une stratégie de confinement et d'isolement social, indiquant que les familles doivent rester à la maison (et ne pas aller travailler) pour éviter la propagation du virus et éviter de nouvelles contagions et davantage de morts.

Cette mesure d'isolement n'affecte sans doute pas de manière significative l'économie des familles ayant un revenu régulier et/ou élevé dans le pays, mais elle affecte fortement l'économie des familles ayant un petit revenu quotidien ou sporadique (environ 75% de la population péruvienne). La stratégie d'endiguement, pour être efficace, doit garantir que les familles ne quittent pas leur foyer, mais un pourcentage important de travailleurs et travailleuses, qui n'ont pas de régime salarial stable ou qui n'ont pas de syndicat, ne percevront pas de revenu durant toute cette période pour pouvoir survivre. Cette problématique n'est que trop rarement abordée par les médias depuis le début de la crise.

L'informalité du travail : un mal nécessaire dans certains pays ?

Pour justifier le pourcentage élevé d'économie informelle, les employeurs invoquent la prétendue rigidité du marché du travail. Alors qu'ils sont souvent les promoteurs de cette concurrence destructrice qui mine la syndicalisation, le salaire minimum, la négociation collective, la protection sociale au travail et bien d'autres droits encore. L'objectif, dit-on, est de rendre le marché du travail plus flexible afin de résoudre les problèmes d'informalité, de sous-emploi et de chômage élevé chez les jeunes.

Rendre le marché plus flexible, c'est le laisser s'autoréguler. Mais, comme l'a dit Polanyi (1944) : "permettre au mécanisme du marché de s'autoréguler et de décider du sort des êtres humains et de leur environnement naturel ainsi que de décider du niveau et de l'utilisation du pouvoir d'achat, cela conduit nécessairement à la destruction de la société". Rien ne garantit que les entreprises opérant sur des marchés déréglementés créeront de bons emplois, au sens d'emplois stables, avec une protection des travailleur.euse.s et des salaires décents. Jusqu'à présent, le résultat est exactement le contraire: la mondialisation néolibérale a rendu l'emploi plus précaire et a accru l'inégalité des niveaux de vie et des revenus des personnes dans nos pays, qu'ils soient développés ou en développement. 

Lorsqu'une protection sociale adéquate est nécessaire dans un pays

La protection sociale est un outil politique fondamental pour lutter contre l'exclusion sociale, l'inégalité et la pauvreté. Les programmes de protection sociale ont contribué de manière significative à la réalisation des objectifs du Millénaire et sont des outils essentiels pour la réalisation des Objectifs de Développement Durable (ODD) du nouvel Agenda 2030 des Nations Unies. 

Le Pérou reste sans réelle protection sociale malgré les demandes de l'Organisation internationale du travail (OIT). Il nous manque toujours la fixation d'un salaire minimum, que les syndicats nationaux et les organisations de travailleurs exigent. C'est le cas également en ce qui concerne le non-respect de la norme ISO 26.000 qui favorise la reconnaissance des droits du travail, et du dispositif différencié des politiques de santé destinées aux personnes âgées. Ces personnes qui, dans le cas de pandémie de coronavirus que nous traversons, sont les plus fortement touchées.

L'impact sur la santé des familles (vulnérables et non-vulnérables) dans un scénario de coronavirus est très élevé, car les pays d'Amérique latine ne disposent pas d'un système de santé adéquat. Ce système est souvent de mauvaise qualité et n'offre qu'une faible couverture. Dans le cas du Pérou, le système de santé dispose d'à peine 2 % des lits en soins intensifs nécessaires pour faire face à une éventuelle aggravation de la maladie.

Un modèle économique basé sur la concurrence plutôt que sur la solidarité

Dans notre pays, on a imposé un mode de croissance économique qui ne créé ni emplois ni revenus décents, avec un concept de concurrence destructeur. Cela conduit à la corruption et à l'octroi d'avantages fiscaux ainsi qu'au démantèlement des normes de travail pour attirer les investisseurs. 

L'absence de protection sociale des travailleurs et des travailleuses, et de surcroît la précarité de leur niveau de vie, est aussi une atteinte à la démocratie. Sans syndicats forts et sans salaires décents, les travailleur.euse.s perdent leur capacité de citoyens à contribuer (en tant que contrepouvoir) à l'équilibre des pouvoirs qui est précisément l'une des caractéristiques des régimes démocratiques. 

Par Raúl Luna Rodríguez, GRESP - Pérou

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