19 avril 2023

Rana Plaza Never Again : l’opinion de Youth for Climate !

Il y a dix ans, le 24 avril 2013, s’effondrait le Rana Plaza, un bâtiment abritant six usines de confection de vêtements, à Dhaka, au Bangladesh. Plus d’un millier d’êtres humains y ont laissé leur vie. Au nom du profit, leitmotiv de l’industrie de la mode. Dix ans plus tard, la nouvelle génération pointe du doigt l’engrenage de notre système économique et ses conséquences humaines et climatiques ! Dès lors, rencontrer Adélaïde Charlier et Boon Breyne du mouvement « Youth for Climate » nous a semblé une évidence.

Propos recueillis par Adrienne Legrand


Climate Justice = Social Justice

Ils avaient respectivement 12 et 17 ans ce jour-là. Donc nous leur avons demandé ce que la catastrophe du Rana Plaza représentait pour eux, hier et aujourd’hui.

Adélaïde : J’avais 12 ans et je n'ai pas de mémoire de l'événement. Mais cela fait maintenant plus de quatre ans et demi que je me concentre sur des questions de l'environnement, de droits humains, de justice sociale. Et dès qu'on rentre dans ce monde-là, la catastrophe du Rana Plaza est mise en avant comme LE symbole de l'échec des droits humains et de la surconsommation, principalement en Occident.

Boon : Pour moi, c'est un peu la même chose. Maintenant, avec le recul, vous voyez que c'est un phénomène qui se produit beaucoup plus souvent et qui ne fait pas toujours la une des journaux, surtout s’il n'y a pas ‘assez’ de morts.

WSM le constate…les choses ont bougé, souvent très lentement. Alors que le système économique, lui, s’est emballé. Adélaïde, Boon, quel regard portez-vous sur ces 10 années ? Les choses se sont-elles améliorées ? Avons-nous manqué des opportunités de mieux faire ?

Boon : D’une manière générale, tous les secteurs accordent plus d'attention à la durabilité et à l'équité. Dans un même temps, ce que nous voyons, c'est une mode de plus en plus rapide, c’est toujours plus d'exploitation (ndlr : de toutes les ressources : humaines, environnementales*…), de plus en plus de vêtements qui ne sont pas portés. Ou des matières premières qui ne sont pas utilisées. Pour moi, ce désastre dans l'histoire de la fast fashion est en fait l'aboutissement de cette obsession de croissance économique et d'accumulation du capital.

Alors, je pense que ce qui s'est passé se reproduira tant que l'on ne s'attaquera pas à la cause première.

*Overall, the fashion industry is responsible for 8-10% of global emissions, according to the UN - more than the aviation and shipping combined. Source : UN Alliance aims to put fashion on path to sustainability | UNECE

Adélaïde : Selon moi, la production s’est encore accélérée. Et la majorité de cette production, en tout cas pour la fast fashion, se fait ailleurs qu’en Europe. Si on continue avec la manière de produire aujourd'hui, on risque de doubler la production de fast fashion pour 2050. Et non, nous n’avons pas du tout pris la mesure de l’événement !

En effet, il n’y a pas eu de changement systémique. Mais alors, les droits humains, brandis partout en Occident, pourquoi n’ont-ils pas changé la donne ?

Adélaïde : La raison pour laquelle on produit autant dans des pays comme le Bangladesh, l'Inde ou encore la Chine aujourd'hui, c'est seulement parce que c'est profitable en termes de coûts. Donc, oui, notre système économique est responsable d’événements comme la catastrophe du Rana Plaza.


Responsabilité partagée ?

Alors, qui est responsable ?  Multinationales, politiques, presse, consommateur·trices ? Tout s’imbrique. A des degrés divers toutefois. Ce sont les mots, encore eux, qui vont déblayer cette question. Réponse tout en nuances.

Adélaïde : Je pense qu'on a évidemment une responsabilité individuelle, mais elle est minime ou incomparable à celle du monde politique et du monde privé. Il y a une responsabilité du monde politique de s'assurer du respect des droits humains, non seulement sur notre continent, mais aussi dans les pays où est produit ce que nous consommons en Europe. Donc la réglementation doit dépasser nos frontières.

Il y a un travail législatif qui se met doucement en place, notamment sur le devoir de vigilance, mais qui arrive beaucoup trop tard déjà et qui fait l’objet de pressions énormes de la part des lobbys à Bruxelles. Donc je ne sais pas du tout à quoi ce devoir de vigilance va ressembler, quand il sera écrit et voté.

Il y a aussi une responsabilité énorme de la part des entreprises. Celles qui finalement décident de sous-traiter leur production dans certains pays, de mettre leurs travailleurs dans certaines positions. A mes yeux, les CEO des multinationales ont une responsabilité énorme qu'ils ne prennent pas puisque leur premier objectif est le profit.

Tant qu'on reste dans une vision économique comme celle d’aujourd'hui, le droit des travailleur·euses restera au second plan. Le respect des êtres vivants au sens large. Donc non seulement les humains, mais aussi toute la biodiversité et l'environnement que nous sommes en train de détruire. Donc, oui, il y a une responsabilité divisée, mais on n'a pas tous la même responsabilité selon notre pouvoir.

Boon : J'entends trois choses. Premièrement, la distance qui a été créée entre la personne qui fabrique un produit et celle qui l’achète. Cette opacité facilite l’exploitation des travailleur·euses tout au long de la chaîne de production. Deuxièmement, nous constatons un manque de démocratie au sein des entreprises. Dans les pays à faible revenu, il n’y a quasi pas de conventions collectives de travail. Enfin, en consommant toujours plus que nécessaire, le Nord s'approprie les ressources et l'énergie indispensables au Sud pour se développer.


Génération Y : actrice du changement !

Il y a un instant vous avez dit que la responsabilité n'incombe que très peu aux citoyen·nes. Pourtant, l'été dernier, un article paru dans De Morgen, mais aussi dans d'autres médias, traitait de la responsabilité des jeunes dans ce domaine. D'un côté, les jeunes sont sensibilisés à l'écologie, mais de l’autre, ils et elles continuent leur surconsommation ! Comment réagissez-vous ?

Boon, nous parle du pouvoir du marketing. Pour lui, ça fonctionne tant c’est bien ficelé pour que psychologiquement, les gens soient convaincus ! Et il a raison…

WSM enchérit…Vous connaissez le truc infaillible des influenceuses Instagram ? Leurs publications sont si bien réalisées que les jeunes éprouvent un sentiment de proximité et sortent boosté·es pour le prochain achat … dont ils et elles n’ont absolument pas besoin. Au passage, on a bien sûr oublié que ces influenceuses sont rémunérées pour leurs publications. Un monde sans foi ni loi. Aucune loi ne règle en effet ces publicités déguisées en Europe.

Adélaïde : Ce que j'aimerais dire, c'est que notre mouvement représente une partie de notre génération, mais on a encore un travail énorme à faire avec les jeunes. On doit questionner la manière dont on nous a appris à vivre, les ressources qu’on a crues illimitées et l’impact de nos actions sur la vie. Nous avons oublié que nous sommes dans un monde fini, en termes de ressources naturelles et humaines. Donc, on doit sortir de ce rêve complètement fou !

Toutes s les générations doivent transitionner, mais la nôtre a peut-être moins peur de changer.

WSM : Je vais me faire un peu l'avocat·e du diable. Admettons que j'ai peu de moyens et je ne peux pas me permettre un vêtement cher et durable. Comment faire le bon lien entre la culpabilisation et responsabilisation des consommateurs ?

Adélaïde : Aujourd'hui, on nous dit qu'on a le choix de vivre d'une manière éco responsable, respectueuse du monde social. Mais c'est faux. Les seul·es qui ont le choix aujourd'hui, ce sont les privilégié·es et ils et elles ont donc une plus forte responsabilité. Néanmoins, ce qu'on peut faire quand on n'a pas ce choix, parce le budget économique ne suit pas, c’est s'organiser et mettre une pression énorme sur le monde politique et le monde privé. 

« Parce qu'aujourd'hui, quand on parle de surconsommation, il y a aussi une surproduction derrière. »

 

La plupart des vêtements qui sont créés ne sont même pas portés. Par exemple, Shein propose dix mille produits différents par jour. 10 000, c'est énorme et ça n'a aucun sens.

Boon : Nous confondons deux choses lorsque nous posons cette question :  consommation et surconsommation. Quelqu'un qui n'a pas beaucoup d'argent mais qui a besoin d'un vêtement peut l'acheter, mais le problème, c'est qu'on vend des vêtements dont personne n'a besoin. Et ça, c’est une tout autre histoire.

Bien entendu, les géants de la fast fashion avancent l'argument suivant : "Nous veillons à ce que des vêtements bon marché soient disponibles.", mais là encore, c'est de la foutaise, car ce sont eux qui exploitent des personnes plus pauvres, peut-être ailleurs.

WSM : Que pensez-vous de l’effet boomerang des magasins de seconde main ? Je au (sur-)consommateur qui y dépose ses vêtements pour se donner bonne conscience !

Adélaïde : Si elle est accompagnée de changements structurels, oui, la seconde main est essentielle. Mais seulement si derrière il y a cette d’un système circulaire pour nos vêtements. A ce moment-là, il n'y a plus de surconsommation. Mais aujourd’hui, nous sommes toujours dans une surproduction. Donc, même si nous avons un système génial de seconde main, ce qu'on a mis en place n'est pas suffisant.

Boon : Comme tu as dit, il y a des pièges.  J'ai l'impression d'un déjà-vu parce qu'une interview précédente portait sur la consommation de plastique, et l'histoire est très analogue. 90 % du plastique n'est pas recyclé, même s'il est trié. Et s'il est recyclé, le matériau peut être réutilisé au mieux une ou deux fois. Pour les vêtements, c'est un peu la même chose. Ils sont recyclés, on en fait quelque chose d'autre, mais cela ne concerne que 1 % des vêtements. **


Entre espoir et action, Youth for Climate a choisi !

WSM : On a parlé du bilan.  10 ans après, il est mitigé, mais quels sont vos espoirs ?

Adélaïde : Moi je parle rarement d'espoir parce qu’espoir, c'est très passif comme mot. Mais si on n’y travaille pas, on n'y arrivera pas. Même s'il y a des gens qui ont travaillé depuis ces dix dernières années, et on ne peut pas sous-estimer ce travail.  Et je suis persuadée qu'on peut le faire et qu'on va le faire !

WSM : Envie de le faire via la politique, Adélaïde ?

Adélaïde : Mais je pense que je fais déjà de la politique tous les jours et je veux continuer du coup à faire cette politique-là. Par contre, ce que j'ai appris de mon activisme, c'est que s'il n'y a pas une pression massive de l'extérieur, le changement ne se fera pas à l'intérieur. Des allié·es à l'intérieur des institutions politiques, on en a, on en a eu et on va continuer à en avoir. Mais s'ils-elles n'ont pas, s'ils-elles ne voient pas que les citoyen·nes se lèvent pour une question spécifique, ils-elles ne vont pas réussir à convaincre le reste de l'assemblée. Donc il faut s'assurer d'abord que le mouvement reste fort à l'extérieur.

WSM : Boon, Adélaïde, des espoirs, des défis ?

Boon : L'espoir, c'est l'action. Nous sommes dans une position très privilégiée (…) je me rends compte que c'est un grand luxe. Et cette liberté me donne la responsabilité de faire quelque chose à ce sujet. "The Scientist Rebellion” a une très belle expression à ce sujet : "Qu'avez-vous fait une fois que vous avez su ?"

Bien sûr, il faut être optimiste, mais en fait il ne s'agit pas d'être optimiste ou pessimiste, il faut simplement le faire. Mais ce qui est important, c'est de rester critique envers soi-même. Posez-vous toujours la question de savoir ce que vous faites, pourquoi vous le faites et si cela fonctionne (…) pour atteindre notre objectif.


Adélaïde : “La seule manière dont on pourra honorer les personnes qui ont perdu leur vie, c’est de continuer à se battre. Il n’y a rien d'autre à faire.”


**Depuis 1996, la quantité de vêtements achetés dans l’UE par personne a augmenté de 40 %, après une baisse considérable des prix qui a eu pour effet de raccourcir le cycle de vie des vêtements. Les Européens consomment près de 26 kg de textiles par an et en jettent environ 11 kg. La plupart des vêtements usagés sont (87 %) sont incinérés ou mis en décharge.  À l’échelle mondiale, moins de 1 % des vêtements sont recyclés. Source : Incidences de la production et des déchets textiles sur l’environnement | Actualité | Parlement européen (europa.eu)

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