28 août 2020

Teranga : l'hospitalité sénégalaise

Début 2020, quatorze personnes issues de la CSC, des JOC, de la Mutualité chrétienne et du CIEP-MOC de Verviers-Eupen-Liège se sont rendues au Sénégal pour un séjour d'échanges et de rencontres avec les partenaires de WSM: la CNTS (syndicat), le GRAIM (appui aux mutuelles de santé) et AJE (organisation de jeunesse). Une aventure formatrice et riche en découvertes des réalités économiques, sociales et culturelles du pays, avec pour fil rouge la santé, la protection sociale, les droits du travail et des jeunes.


Immersion au Sénégal

« L’homme, la femme et leur enfant feront face au soleil, symbolisant l'ouverture du continent au reste du monde. C'est une force de propulsion et d'attraction vers la grandeur, la stabilité et la pérennité de l'Afrique… » Nous sommes au pied du Monument de la Renaissance à Dakar et nous écoutons sagement les explications données par André Wade, notre guide, également directeur du GRAIM. Il y a des années, alors diplômé professeur en langues classiques, André décide de changer de voie après s'être posé la question: « comment puis-je être le plus utile pour ma communauté ? » Il le fera au travers du GRAIM, partenaire de WSM.

Au Sénégal, pas de problèmes, que des solutions" : au fil de nos échanges et visites avec des représentants des ministères ou avec les partenaires de WSM, nous avons bien dû nous rendre à l’évidence que ce dicton que nous entendions souvent n’est qu’un trompe-l’œil, considérant les défis que ce pays doit relever : 200.000 demandeurs d’emploi par an pour 40.000 emplois disponibles ; près de 50% de la population âgée de moins de 18 ans ; une économie informelle généralisée ; des centaines d’enfants talibé dans les rues ; une couverture santé à renforcer ; l’exode rural ; une politique environnementale encore à construire… Arrêtons-nous sur quelques-uns d’entre eux.

Pyramide sanitaire

Bienvenue au poste de santé ‘’Goutte de lait‘’ de Thiès, un poste destiné à 10.650 habitants. La particularité de ce premier service dans la pyramide sanitaire est qu’il est dédié uniquement à la consultation. La plupart des patients se dirigent spontanément vers un centre de santé ou un hôpital. Ce choix leur coûte cher ! Ainsi, l’Etat conseille de respecter la pyramide sanitaire suivante : lorsqu’un citoyen est malade, il doit se rendre en premier lieu à un poste de santé. Si son cas ne peut y être pris en charge, il est redirigé vers un centre de santé. Si la maladie persiste, il est envoyé au district sanitaire. Et en dernier lieu, recourir à l’hôpital. Avez-vous compris ? Alors, passons aux mutuelles de santé !

Mutuelles de santé

Le GRAIM a une expertise de plus de dix ans dans l’appui et la mise en place de mutuelles de santé visant à donner accès aux soins de santé aux communautés de Thiès. Nous en aurons un bel aperçu en visitant la mutuelle de santé Yombal Fajju Ak Wer. Destinée à l’origine exclusivement aux femmes, elle compte aujourd’hui aussi des groupements d’hommes. Des formations y sont dispensées : sérigraphie, pâtisserie, … De 150 adhésions en 2002, la mutuelle est passée à 1.692 actuellement. Ce qui représente près de 12.000 personnes soignées.

« L’arrivée de la Couverture Maladie universelle (CMU) constitue une avancée » considère l’Union des Mutuelles de district, qui œuvre à une meilleure considération des mutuelles. Néanmoins, les retards de transfert d’argent de l’Etat vers ces mutuelles freinent leur travail. Le rôle de l’Etat est ainsi critiqué car il manquerait d’initiatives. Le développement devrait venir du peuple (via les mutuelles) sans dépendre des aides de l’Etat. Leur espoir est de voir une meilleure gestion des hôpitaux, un contrôle renforcé des prestations, un renforcement des syndicats, une régulation des prescriptions de médicaments, une obligation d’adhésion aux mutuelles pour tous les citoyens… L’Union départementale des Mutuelles nous confirmait aussi cette urgence de solutions.

La rencontre avec l’Agence de la CMU fut tout aussi intéressante. Elle offre la possibilité aux personnes les plus démunies de bénéficier d’une couverture du risque maladie qui est passée de 20 à 49% entre 2014 et 2019. Un signal encourageant ! Néanmoins, l’Agence confirme qu’il reste encore beaucoup de travail et que le gouvernement actuel œuvre pour étendre davantage cette couverture.

Le GRAIM soutient aussi un service d’éducation et de rééducation pour les enfants atteints d’infirmité motrice cérébrale : le centre Anne-Marie Mortier. La croyance populaire dit que cette maladie résulte d’un mauvais sort et, de ce fait, les familles concernées n’osent pas s’adresser à ce service spécialisé. Pourtant, la maladie s’explique dans 80% des cas par la consanguinité ou des complications lors de l’accouchement.

Fandène, innovante

Fandène est une commune de Thiès de référence : c’est là qu’est née la première mutuelle de santé du Sénégal. Elle est citée comme étant la preuve d’une culture mutualiste et du potentiel des mutuelles communautaires à protéger efficacement les travailleur-euses du secteur informel et rural contre le risque maladie.

C’est dans ce contexte favorable que, depuis 1992, un réseau de femmes rurales s’y organise. Il compte à ce jour 58 groupements et près de 2.000 membres. Son objectif principal est le renforcement de capacités des femmes rurales, parce qu’il n’y a pas de reconnaissance des femmes dans leur capacité à recevoir une terre pour la cultiver ou la construire. Par le passé, les terres étaient données aux aînés garçons de la famille. Les femmes avaient alors un rôle secondaire : cuisiner et aider dans les champs. Des avancées ont été réalisées depuis la création du Réseau afin de faire valoir le droit de la femme rurale à une place équitable par rapport à celle des hommes. Émissions télé et radio, plaidoyers, rencontres, ateliers, … sont autant d'outils que les femmes du réseau utilisent pour réclamer au Sénégal et ailleurs le droit de posséder des parcelles et de les cultiver de manière saine et durable. Cette agriculture éducative permet de freiner l’exode rural. Enfin, une caisse d’épargne alimentée par les cotisations vient en aide aux femmes qui ont besoin d’un crédit.

Un syndicat qui protège les travailleur-euses du secteur informel

C'est le premier syndicat du pays avec plus de 39% de représentativité. Dans un bâtiment flambant neuf situé en plein cœur de Dakar, nous sommes accueilli-es à la CNTS par une dizaine de ses représentant-es (président-es, secrétaires généraux de différents secteurs) qui vont nous présenter l’action de la Centrale qui compte plus de 70.000 membres cotisants (du secteur formel) et 60.000 non-cotisants (du secteur informel). Son travail est essentiellement lié à l’encadrement syndical, au plaidoyer politique et à la formation.

Les défis sont énormes : faire reconnaître le travail informel comme un vrai travail auprès des autorités locales ; contrer l’envahissement des entreprises chinoises sur le marché et faire face à la précarisation des travailleur-euses qui y travaillent ; pouvoir faire cotiser le secteur informel.

« Investir sur les jeunes est un investissement d’avenir », confie Mody Guiro, le secrétaire général, qui tient ainsi à mettre en avant le dynamisme et l’engagement de son comité des jeunes. Et de ne pas oublier l’égalité de genre. Il souligne que les femmes représentent 43% des sièges de leur bureau confédéral et apportent une réelle plus-value à l’action du syndicat.

Et les jeunes dans tout ça ?

Pour notre rencontre avec AJE (Action Jeunesse Environnement), le décor est planté : un minuscule atelier de ferronnerie à même la rue. Deux personnes sont là : Marc Emmanuel, à qui appartient cet atelier, et Ismaël, accompagnateur AJE. Nous écoutons le parcours de Marc Emmanuel et, après un court échange, nous rejoignons les locaux d’AJE dans la périphérie de Thiès où nous attendent une vingtaine de jeunes et René Sibomane, le fondateur.

AJE se consacre à la formation professionnelle, l’insertion, l’écologie sociale, la sécurité climatique et la protection de l’enfance. Elle est aussi présente dans d’autres régions. Son fonctionnement est inspiré de la méthode ‘Voir-Juger-Agir’, la même qu'utilisent les JOC. D’ailleurs, son slogan est : « Je participe, tu facilites ! ». AJE dispose d’un lieu d’accueil et d’écoute, un centre de formation de courte durée et un espace d’infos et d’insertion technologique : « L’apprenti d’aujourd’hui est le mutualiste et/ou le syndicaliste de demain. » D’où l’importance de la présence d’AJE dans le Réseau multi-acteur pour la protection sociale (REMAPS).

Les échanges que nous avons eu avec les jeunes présents ont permis de rendre concret le travail fait par AJE. Ils y suivent des formations et s’organisent sous forme de coopératives qu’ils lancent en fonction de leur centre d’intérêt (couture, restauration, bois, métallurgie, etc.). AJE va alors les accompagner et les guider vers des solutions.

Tourisme et écologie

Le tourisme constitue environ 7% du PIB et repose essentiellement sur un tourisme international, avec pour objectif d’accueillir vingt millions de touristes en 2024. Un tourisme fortement basé sur l’utilisation des voies aériennes avec toutes les conséquences écologiques connues. L’épuisement du pétrole dans un avenir proche pourrait mettre en péril les efforts accomplis jusqu’ici. Beaucoup d’ambitions exprimées par les représentants du ministère du tourisme et des transports aériens, mais une vision sur le long terme qui manque parfois de clarté, y compris dans le cadre du développement d’un tourisme équitable et durable.

Incontournables

Aller au Sénégal sans découvrir certains sites, ce ne serait pas plonger entièrement dans sa réalité. L’Ile de Gorée a été du 15ème au 19ème siècle le plus grand centre de commerce d’esclaves de la côte africaine : une île magnifique, mais avec un passé qui cristallise les mémoires douloureuses de l’esclavagisme. Nous les avons ressenties au plus profond de notre être.

A Dakar, nous avons assisté à une cérémonie culturelle et très populaire : la lutte sénégalaise… Un vrai régal! Nous remercions les partenaires de WSM qui nous ont facilité l’accès au stade, et pas n’importe lequel : nous avons eu droit à un tour de piste, tout en saluant le public !

Nous avons eu la chance à Lalanne, le village d’André Wade, de passer la nuit  chez les habitants du village. Une expérience unique permettant de sortir du quotidien et de notre confort. Un moment de partage et de bienveillance avec des personnes que nous rencontrions pour la première fois.

Nous nous sommes aussi arrêtés au Lac Rose, un lagon qui doit sa couleur à la présence de micro-organismes et à la forte concentration de minéraux. Jour et nuit, il y règne une intense activité : des centaines de personnes s’y livrent à l’extraction du sel (on en trouve 300 grammes par litre !). Enfoncés jusqu’à la taille, des hommes arrachent les croûtes de sel déposées sur le fond et remplissent des pirogues que des femmes déchargent sur la berge. Le sel récolté est ensuite vendu et commercialisé en ville par des intermédiaires. Des conditions de travail inhumaines qui nous ont fortement marqué.

Le Sénégal est bouleversant par ses contrastes : des initiatives innovantes à côté d’un taux de chômage effrayant chez les jeunes ; une immense chaleur humaine malgré une grande pauvreté ; une ville comme Dakar qui à l’intérieur est asphyxiée par la pollution, et à l’extérieur voit se développer la Grande Muraille verte pour restaurer les écosystèmes sahéliens…  C’est donc avec à l’esprit ces images et histoires fortes que nous sommes rentrés en Belgique avec la ferme intention de rendre compte de notre expérience, mais aussi et surtout de celles des partenaires travaillant au quotidien pour le bien-être de la population sénégalaise.

Et face au COVID-19 ?

Actuellement, le GRAIM et le REMAPS (Réseau Multi-Acteurs de la Protection Sociale) apportent leur contribution dans la lutte contre la propagation de cette pandémie de deux manières. D’une part, des campagnes de sensibilisation sont développées via des spots radio/TV afin que les populations s’approprient des mesures de prévention prises par le gouvernement et, d’autre part, des distributions de matériel (masques, savons,…) sont organisées par les mutuelles de santé. Ces actions sont coordonnées au niveau national.

 

Textes collectifs compilés par Antoinette Maia  

Photos : © WSM et ©Abderrahmane Guermit 

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