7 décembre 2021

Qatar 2022 | Une vitrine mondiale, mais à quel prix ?

Dans moins d'un an et pour la première fois de l’histoire de cette compétition, le coup d’envoi de la Coupe du monde de la FIFA sera donné au Moyen-Orient. A Doha, cité de gratte-ciels surgie des sables. Le XXIe siècle dans toute sa démesure. Mais sans les deux millions de travailleurs et travailleuses migrant·es, notamment népalais·es, la Coupe du monde 2022 ne pourrait tout simplement pas avoir lieu au Qatar.

Depuis que le pays a remporté l’organisation de la Coupe du monde, en 2010, ces travailleur·euses ont été soumis·es à une exploitation généralisée, notamment à du travail forcé. 6.500 morts plus tard, de belles avancées ont néanmoins été engrangées sur le terrain, grâce à une mobilisation mondiale. 

Avec Pierre Cuppens, secrétaire général de la centrale syndicale belge CSC bâtiment - industrie & énergie (CSC BIE), et Smritree Lama, secrétaire nationale du syndicat Gefont au Népal, nous faisons le point sur la situation des travailleur·euses migrant·es engagé·es sur ces « chantiers de la honte », et sur le chemin parcouru depuis dix ans. Les promesses de réforme du travail du Qatar correspondent-elles à la réalité des travailleur·euses migrant·es dont le pays dépend si largement ? 

Smritree Lama, du syndicat Gefont, nous le confie lors de notre échange en visioconférence. En ce milieu du mois de juin 2021, une mauvaise nouvelle est arrivée du Qatar : Bishal, 30 ans, est décédé. Il y travaillait sur un chantier de construction. Une mort naturelle, pendant son sommeil. Arrêt cardiaque. 

Naturelle, vraiment ? C’est l’un des problèmes majeurs relevés par le syndicat Gefont: les cas de décès de personnes jeunes et en pleine santé, pendant leur sommeil, se sont multipliés ces dernières années sur les chantiers du Qatar. Pour les familles des travailleur·euses concerné·es, c’est la double peine : ces morts, considérées comme naturelles, ne donnent pas accès à la couverture d’une assurance en cas d’accident de travail. 

Officiellement au Qatar, seuls quelques dizaines de décès recensés sont liés à la construction des stades. Mais le quotidien britannique The Guardian s’est appuyé sur les sources publiques de cinq pays (Inde, Pakistan, Népal, Bangladesh et Sri Lanka) d’où proviennent les migrant·es et a découvert que plus de 6.500 travailleur·euses contractuel·les sont mort·es au Qatar depuis 2010.

69 % de ces décès sont considérés comme des morts naturelles dues à une défaillance cardiaque ou pulmonaire. Rien d’étonnant, lorsqu’il faut effectuer de lourds travaux physiques dans un pays où une température estivale de 50 degrés est trop élevée pour jouer au football pendant 90 minutes…

Népal : une main d’œuvre globale

Pourtant, le Qatar reste une destination importante de migration économique pour les jeunes hommes et femmes originaires de pays où le chômage explose. Par exemple, plus d’un million de Népalais·es travaillent dans les États du Golfe. Ils apportent en retour une contribution substantielle à la société népalaise. 

« Dans notre économie, on estime que chaque année, avec les nouvelles forces de travail qui arrivent sur le marché, ce sont entre 450.000 et 500.000 personnes qui cherchent un nouvel emploi. Et on arrive à peine à en fournir un à 100.000 d’entre elles sur notre sol. Cela pousse donc les travailleurs à rejoindre le marché de travail global », nous explique Smritree Lama, secrétaire nationale du syndicat Gefont et chargée du programme de soutien aux travailleur·euses migrant·es.

De l’Afghanistan à la Zambie, on en retrouve dans près de 108 pays dans le monde. Plus d’un million, soit un quart d’entre elles et eux, travaillent au Moyen-Orient. L’argent que ces fils et ces filles envoient au pays représente plus d’un quart du PNB total du Népal. 

Groupes de soutien

« Comme organisation syndicale, vu l’importance des migrations du travail dans notre pays, nous avons décidé d’investir dans l’accompagnement de ces travailleur·euses. Nous avons neuf groupes de soutien pour des travailleur·euses migrant·es à l’étranger, dont un au Qatar, qui est un pays de destination important. Au Qatar, nous effectuons ce travail depuis 2011, mais dans le secret, car les droits syndicaux ne sont pas assurés dans ce pays. »

Pris au piège

Au cœur des atteintes aux droits des travailleurs et travailleuses migrant·es au Qatar se trouve le système kafala du pays, un système de parrainage qui les lie juridiquement aux personnes qui les emploient. Ce système empêchait jusqu’à récemment les travailleur·euses de changer d’emploi ou même de quitter le pays sans l’autorisation de leur employeur·euse: ils et elles se trouvaient alors pris·es au piège. Bonne nouvelle: ce système a été entièrement supprimé en 2020 !

« La solidarité fait la différence ! »

Durant ces dix dernières années, les syndicats et les ONG ont fait campagne contre cette exploitation et en faveur d’un travail décent dans les États du Golfe. La pression internationale a permis quelques avancées. 

En 2017, le Qatar a signé un accord avec l’Organisation internationale du travail (OIT) pour rendre sa législation sur le travail conforme aux normes internationales. Disposant maintenant de bureaux au Qatar, l’OIT travaille avec les autorités sur un vaste processus de réforme couvrant cinq axes de travail : la réforme du système de parrainage, l’accès à la justice, la liberté d’expression des travailleurs et travailleuses, la santé et la sécurité, et la rémunération et le recrutement.

Ainsi, le Qatar est devenu en 2020 le premier pays des États du Golfe à franchir une étape historique en instaurant le principe du salaire minimum

Des décisions gouvernementales qui vont donc dans le bon sens. Toutefois, l’application insuffisante de certaines des réformes adoptées ces dernières années a laissé des milliers de travailleur·euses à la merci d’employeur·euses sans scrupules. Le travail forcé, la restriction de la liberté de mouvement, la discrimination, les conditions de travail et de vie extrêmes, ainsi que l’interdiction de s’affilier à un syndicat, et d’en créer un, demeurent une réalité. 

Malgré cela, Smritree Lama nous l’affirmait: « Ces avancées législatives, même si elles restent insuffisantes, sont loin d’être négligeables ! Elles sont la preuve que la solidarité fait la différence. Cela nous donne l’énergie de continuer. Espérons maintenant que d’autres pays du Moyen-Orient emboîteront le pas du Qatar. » 

"Ces avancées législatives, même si elles restent insuffisantes, sont loin d’être négligeables ! Elles sont la preuve que la solidarité fait la différence. Cela nous donne l’énergie de continuer." Smritree Lama

En octobre 2013, Pierre Cuppens a participé à une mission de l’OIT sur place pour dénoncer des conditions de travail alarmantes sur certains chantiers. Il en est lui aussi convaincu: « Dans une situation comme celle-là, de l’ordre de l’esclavage moderne, même des petits changements sauvent des vies. Il est indispensable de rester mobilisé·es. »

Se tenir à l’écart ne résout rien 

Les organisations partenaires de WSM et de la CSC, actives dans des pays d’origine, l’Inde et le Népal, partagent le point de vue selon lequel boycotter le Qatar ne résoudra rien. Il vaut mieux œuvrer activement pour faire du travail décent une réalité dans cet État du Golfe. 

« La CSC BIE souhaite faire pression sur la Fédération royale belge de football, la FIFA et les autorités du Qatar, afin qu'ils mettent en place des actions concrètes et structurelles en vue d’améliorer les conditions de vie et de travail des ouvrier·ères et d’ouvrir la voie à d’autres réformes significatives dans toute la région du Golfe. », explique Patrick Vandenberghe, président de la CSC BIE. 

Début juin, la CSC BIE a abordé la question de la situation des ouvrier·ères au Qatar avec Peter Bossaert, le secrétaire général de l'Union belge de football. Une nouvelle rencontre s’est tenue début septembre afin de mettre en place une plate-forme avec les syndicats et des ONG comme WSM, Amnesty International et Human Rights Watch. 

Forces de changement

Ne soyons pas trop modestes: la force du changement émane surtout des mouvements sociaux qui se préoccupent du sort de plusieurs milliers de personnes en défendant leurs droits jour et nuit, en les préparant avant leur départ et en les accueillant au retour, en organisant les travailleur·euses, au péril de leur vie et au risque de perdre leur emploi, dans des conditions particulièrement précaires. Les travailleur·euses migrant·es, ce sont d’ores et déjà eux, les vrai·es champion·nes de la Coupe du Monde.

Sources : CSC BIE, OIT, Amnesty international

Texte: Jennifer Van Driessche | Photos: WSM, CSC, Unsplash


FIFA ET ENTREPRISES AU QATAR : TOUTES RESPONSABLES !

Le gouvernement du Qatar n’est pas le seul à devoir prendre ses responsabilités et trouver des solutions. Les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits humains prévoient clairement que les entreprises doivent, au minimum, respecter les droits humains, y compris ceux des travailleur·euses. Cela implique de prendre les mesures nécessaires pour prévenir, atténuer et, le cas échéant, réparer les atteintes aux droits humains liées à leurs activités. Les entreprises ne doivent sous aucun prétexte profiter des insuffisances du système qatari pour exploiter les travailleur·euses.

Le groupe belge de construction Besix a érigé deux des neuf stades de la Coupe du Monde. Même s’il se positionne dans sa communication comme modèle en matière de droits humains, la CSC BIE sera attentive et continuera à exiger de l’entreprise des conditions décentes de travail sur place.

La FIFA doit donc non seulement assurer le respect des droits du travail dans le cadre de la construction des stades pour la Coupe du monde, mais également user de son influence pour veiller à ce que les droits humains soient respectés plus largement dans le cadre des projets liés à la Coupe du monde 2022. 

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