4 mars 2024

« On frappe à toutes les portes ! Ils savent que quand on commence, on ne s'arrête plus. »

Elle représente la relève. Avec un sens politique aigu, la présidente du Comité des jeunes de la Confédération syndicale CNTG, Hadja Saran Fofana, incarne une voix d’avenir dans son organisation. A ses côtés, Kadiatou Barry a la force de l’expérience. Elle représente le département des mutuelles, du secteur informel et des coopératives de la CNTG, et est également référente “genre” de la CNTG. Nous avons interrogé Hadja Saran Fofana et Kadiatou Barry, toutes deux membres du bureau exécutif de la CNTG, à Conakry en août dernier sur leur vision de l’avenir de la jeunesse guinéenne dans ce pays marqué par la pauvreté et la corruption. Et sur le rôle que le syndicat peut jouer pour changer la situation.

Parlez-nous de la situation générale en Guinée…

Kadiatou : Au niveau politique, c’est l’instabilité qui prime. Le 5 septembre 2021, un coup d’État militaire a renversé le président Alpha Condé, qui venait d’être réélu pour un troisième mandat controversé un an plus tôt. C’est le Comité national pour le rassemblement et le développement, le CNRD, dirigé par le colonel Mamadi Doumbouya qui a repris la gestion de la Guinée pour une période dite de transition.
Hadja : Voilà qui pose d’emblée le contexte difficile. La jeunesse de notre population est un atout : deux habitant·es sur trois ont moins de vingtcinq ans. Malheureusement, près de la moitié des Guinéen·nes vivent en dessous du seuil de pauvreté (estimé à 16.423 GNF/personne/jour (1,6 EUR) en 2019, ndlr). L’économie est largement informelle, ce qui a des conséquences importantes : manque de services publics et d’infrastructures, sécurité sociale faible, droits du travail inadéquats, insécurité économique et bien d’autres choses encore.

Dans ce contexte, qu’est-ce qui préoccupe le plus les jeunes, en ce moment, en Guinée ?

Toutes deux en chœur : L’emploi !
Hadja : Et donc la formation… Il est nécessaire d’harmoniser le curriculum vitae aux besoins. On forme beaucoup de sociologues alors que les entreprises ont besoin d’ ingénieur·es et de mécanicien·nes. De plus, le traitement dans la fonction publique n’est pas suffisant. La fonction publique offre plus de garanties, mais le salaire est très précaire, et cela malgré la richesse du pays. Le privé paie mieux. L’exploitation minière pourrait rapporter beaucoup plus à notre pays et à la population si elle était mieux gérée ! Actuellement, tout le monde se lance dans l’entreprenariat, même les fonctionnaires. Pour compléter leur maigre salaire… L’économie informelle est très pratiquée aujourd’hui, surtout par la jeunesse. Souvent, les jeunes réussissent très bien ! Un exemple frappant, c’est celui des étudiant·es diplômé·es sans emploi, qui ont trouvé d’autres débouchés. La conduite de tricycles (on les appelle « Bombona », ici), par exemple, est très rentable ! Au lieu de rester à la maison ou d’aller au café, ils·elles se créent un petit emploi et deviennent autonomes. Dernièrement, plusieurs filles se sont lancées dans ce secteur.

Quelle est la revendication principale de la CNTG en matière de protection sociale ?

Hadja : Nous trouvons essentiel que ces travailleur·euses du secteur informel soient couvert·es par la protection sociale ! Il y a quelques années, nous avons rédigé une enquête, collecté des données, organisé de la sensibilisation intersyndicale. En Guinée, nous avons deux institutions en charge de la protection sociale. Pour les agents de la fonction publique, il y a d’une part l’Institut d’assurance maladie obligatoire et la caisse nationale de prévoyance des agents de l’Etat, qui ont fusionné l’an dernier en une seule institution. De l’autre côté, il y a la caisse nationale de sécurité sociale, uniquement destinée aux travailleur·euses du secteur privé. Il y a donc un secteur qui est laissé pour compte, et non des moindres, celui de l’économie informelle ! C’est un secteur qui évolue beaucoup, qui peut être très rentable, mais qui est désorganisé. Nous avons donc décidé de les organiser, car aujourd’hui dans ce secteur, si tu peux travailler, tu es à l’abri du besoin, mais si demain tu tombes malade, il n’y a aucune mesure d’accompagnement prévue.
Kadiatou : On avait pensé à les relier à une structure existante, mais ça ne colle pas. Il faut trouver quelque chose pour eux·elles spécifiquement, et créer une structure qui va couvrir ce secteur. C’est très important car les jeunes y évoluent en majorité.

Comment recueillez-vous les revendications des jeunes au sein de la CNTG ?

Hadja : Je suis présidente du Comité des jeunes de la CNTG. Nous y veillons à rassembler les préoccupations des jeunes aux différents niveaux, grâce à des structures décentralisées destinées à recueillir les informations et préoccupations, pour les porter au niveau des fédérations ou de la confédération, afin que des solutions convenables soient trouvées. Des jeunes sont élu·es pour y participer, du niveau local jusqu’à la confédération nationale. Nous avons aussi des programmes établis avec des partenaires qui sont spécifiquement destinés aux jeunes, comme le projet d’ateliers consacrés aux violences basées sur le genre développés par WSM cette année, avec le soutien d’Enabel. Nous travaillons en synergie.

Avec la période de transition politique, le pays est dirigé par la junte militaire. Où en est-on, en matière de dialogue social ? 

Kadiatou : Depuis 2018, le dialogue en tripartite était rompu. Le seul avantage qu’on a eu avec la transition, c’est la mise en place du Conseil national du dialogue social. Lors du régime précédent, on avait tout fait pour avancer. Il restait l’opérationnalisation. Cela vient d’être réglé à présent. Le dialogue social a donc repris depuis peu.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Hadja : Les négociations ont pu reprendre dans le secteur de l’enseignement, par exemple. Il y a eu de gros mouvements sociaux au niveau du secteur de l’éducation en 2017. C’est un secteur fragile : à tout moment, il y a des revendications. Ils vont encore manifester demain (fin août 2023, ndlr). Nous avions observé que des jeunes, posté·es dans différents départements ministériels, depuis 2018, n’étaient pas engagé·es. Or, ces jeunes sont là depuis des années… Et peuvent être remercié·es du jour au lendemain ! Après maintes vérifications, nous avons trouvé des bons dossiers, avec diplômes authentifiés. Et donc nous avons demandé que ces jeuneslà soient engagé·es à la fonction publique, vu leur ancienneté dans les départements. Mais ça a posé des problèmes au moment d’une discussion tripartite. Comme il y avait une augmentation de 40% de salaire, le gouvernement a dit qu’il ne pouvait pas exécuter les deux choses au même moment : employer les jeunes, et payer l’augmentation de salaire dans l’immédiat. Nous avons préféré l’engagement des 5.565 jeunes oncerné·es, et avons accepté l’échelonnement en trois paiements. Sans cesse des jeunes fuient pour aller mourir en Méditerranée. Nous, nous sommes contre cela. Il est tout-à-fait possible de vivre ici, et de réussir ici, si on est un minimum respecté. Pour cela, il faut des élites qui privilégient l’intérêt général, l’intérêt de la population, l’intérêt des travailleur·euses.

« Il est essentiel d’organiser également les travailleur.euses du secteur informel afin qu’ils·elles bénéficient eux aussi d’une protection sociale. » Hadja Saran Fofana

Comment l’enjeu de l’égalité de genre est-il défendu au sein de la CNTG ?

Hadja : Les hommes ne veulent pas du tout céder. Ils sont réticents à laisser des femmes diriger. Nous voulons briser cette barrière. Depuis 1945, où la fédération de l’enseignement a été créée, il n’y a eu qu’une seule femme nommée secrétaire générale. Nous appelons les femmes et les jeunes à poursuivre la lutte. Cela passe par un renouvellement des forces au sein du syndicat.

Kadiatou : Dans les statuts de la CNTG, il est inscrit qu’on doit avoir au minimum 30 % de femmes au bureau exécutif. A l’heure actuelle, on note une bonne évolution : sur 27 membres, nous sommes 12 femmes. On a donc dépassé les 30% indiqués dans les statuts et le règlement intérieur de la CNTG. On a également une secrétaire générale adjointe. Et la CNTG a compté Rabiatou Serah Diallo parmi ses figures de proue dans les années 2000-2010 en Guinée (voir encadré). Nous avons un département genre et une commission des femmes. A l’image du Comité des jeunes, nous rassemblons les préoccupations des femmes. En Guinée, les traditions sont exigeantes pour elles. Nous sommes des battantes ! Mais je suis optimiste… Avec mon âge, j’observe des améliorations significatives, même si l’ampleur de la tâche reste immense. L’avant-dernière action que nous avons menée était une grande rencontre intersyndicale avant la journée internationale des droits des femmes. On a réalisé un plaidoyer autour de la ratification de la convention 190 de l’OIT qui concerne les violences au travail. On a organisé des sketchs pour montrer ce qui se passe effectivement dans le pays : ces scénettes ont montré des femmes battues, des enfants maltraité·es, violé·es, ... On a aussi organisé dernièrement un plaidoyer au ministère du Travail. On frappe à toutes les portes ! Ils savent que quand on commence, on ne s’arrête pas.

Pour nous, les femmes, la bataille, c’est partout.

« Nous appelons les femmes et les jeunes à nous rejoindre dans notre combat. Notre lutte passe par le renouvellement des forces du syndicat. » Hadja Saran Fofana


Hommage | Rabiatou Diallo

WSM salue la mémoire de Hadja Rabiatou Serah Diallo, syndicaliste guinéenne qui a contribué à marquer de son empreinte le syndicalisme africain et international. Ancienne secrétaire générale de la Confédération Nationale des Travailleurs de Guinée - CNTG, elle était la première femme du continent à diriger un syndicat de salarié·es d’envergure nationale. Hadja Rabiatou Serah Diallo est décédée à 73 ans le 28 juin 2023, à Conakry des suites d’une longue maladie. Au sein de WSM et de l’ACV-CSC, on se souviendra toujours d’elle pour sa lutte acharnée en faveur de la justice sociale dans un pays qui croule sous la pauvreté et la corruption.


TEXTE Jennifer Van Driessche - PHOTOS Jennifer Van Driessche, Rob Stevens | WSM magazine 14

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