17 novembre 2020

Interview Athit Kong, président du syndicat cambodgien C.CAWDU

"Œuvrer pour améliorer la vie des autres"

L’industrie cambodgienne de l’habillement est durement touchée par le coronavirus. Athit Kong (39 ans) est le président de C.CAWDU, le principal syndicat indépendant des ouvrier.ère.s du secteur de l’habillement au Cambodge, et depuis des années un partenaire respecté de la CSC et de WSM. Dans cette interviwe, il lève le voile sur la situation actuelle de son secteur en temps de crise.


Interview

“J’ai commencé à travailler en usine à 18 ans”, explique Athit. « Les salaires étaient peu élevés et les travailleur.euse.s s’évanouissaient souvent, sans compter qu’il y avait souvent des problèmes avec la direction. Peu après que je me sois affilié à C.CAWDU, des hommes costauds et armés ont tenté de m’intimider. Mais, nous ne devons pas avoir peur. J’ai de bons amis plus expérimentés et cela m’a aidé.
Mes enfants me demandent parfois : « C’est quoi, C.CADWU? ». Comme ils ne comprennent pas le mot ‘syndicat’, je leur ai expliqué que nous ne devons pas travailler uniquement pour nous-mêmes. Nous devons aussi aider les autres qui sont dans le besoin. C’est une façon utile de vivre notre vie. »

C.CAWDU compte plus de 50.000 membres. Que faites-vous pour eux?

“Tout d’abord, nous voulons expliquer à nos membres la loi sur le travail et leurs droits. Ensuite, nous négocions les salaires et les conditions de travail avec les employeurs. Enfin, nous faisons du lobbying auprès du gouvernement en faveur de l’amélioration des droits du travail.”

Y parvenez-vous encore aujourd’hui?

“Les résultats ne sont pas aussi bons qu’avant. Nous l’avons, par exemple, vu lors des récentes négociations sur le salaire minimum. Ces dernières années, chaque ouvrier.ère avait droit à une augmentation salariale de 8 à 15 dollars américains par mois. En 2021, par contre, le salaire minimum n’augmentera que de 2 dollars. Ce n’était vraiment pas satisfaisant pour nous. Pourtant, nous faisons de notre mieux.”

Quel est l’impact de la COVID-19 sur l’industrie de l’habillement au Cambodge?

“Selon les estimations, environ un à deux millions de personnes travaillent dans l’industrie de l’habillement ou en sont dépendantes. Plus de 200.000 travailleur.euse.s sont suspendu.e.s et plus de 15 usines ont entre-temps officiellement fermé leurs portes. Les allocations légales, telles que l’allocation d’ancienneté, ont été réduites.”

Comment est-ce possible?

“C’est possible parce que l’employeur ne veut pas payer ces allocations et que le gouvernement l’autorise à ne pas payer. Pourtant, aujourd’hui ce revenu est vraiment vital pour les ouvrier.ère.s.”

Craignez-vous que les usines profitent de cette crise?

“Il y a en tout cas un grave manque de transparence quant aux motifs qui incitent les usines à cesser le travail, licencier leur personnel, voire même carrément à fermer.”

Vous avez aussi évoqué des suspensions. Comment ce système fonctionne-t-il?

“Un employeur dont le carnet de commandes est vide peut décider de suspendre ses activités. Dans ce cas, la loi prévoit que l’entreprise peut rester fermée pendant deux mois, mais certaines usines restent fermées pendant quatre à six mois. Cette question continue de susciter de gros débats. Est-ce légal ou non? Et qui est responsable du paiement? Nous avons aussi vécu le cas d’une entreprise qui demandait une suspension alors que les travailleurs estimaient qu’il restait beaucoup de travail à accomplir. Cela suscite des interrogations.”

Selon vous, en quoi pourrait consister une solution?

“Il serait bon, à mon avis, que le gouvernement, les marques de vêtements et les syndicats créent un ‘comité commun’ qui étudierait la situation dans les usines. La création de ce comité éviterait aussi que l’on se fasse mutuellement des reproches en cas de difficultés. La situation actuelle conduit à des divergences de vues quant à l’interprétation de la loi.”

Lorsqu’une entreprise suspend ses activités, les ouvrier.ère.s ne touchent plus que 70 dollars par mois (59 euros), soit 30€ à charge de l’employeur et 40€ à charge des pouvoirs publics. Est-ce suffisant?

“Aujourd’hui, le salaire minimum est de 190 dollars (161 euros) par mois. En cas de suspension, les ouvrier.ère.s ne touchent que 70 dollars (60 euros) par mois, juste assez pour payer le loyer et acheter un peu de nourriture. Imaginons que votre enfant tombe malade ou que votre famille soit confrontée à une urgence, vous aurez de grosses difficultés. Donc, non, ce n’est pas assez, c’est inhumain.”

Comment les travailleur.euse.s réagissent-ils face à cette situation?

“Beaucoup d’entre eux-elles ont cherché un autre emploi, dans une usine qui est encore ouverte, ou bien chez un sous-traitant qui travaille dans l’illégalité. Je sais que désormais certain.e.s ouvrier.ère.s travaillent aussi dans la construction ou doivent voyager beaucoup plus loin qu’avant. Mais même dans ces conditions, nombre d’entre eux-elles n’ont pas de travail tous les jours. C’est pénible, parce que beaucoup de ménages sont très endettés. Ils ont contracté des emprunts sans toujours en comprendre les conditions. Ils ont hypothéqué leur maison ou leur terre et ils doivent souvent payer des intérêts ridiculement élevés. Finalement, ces emprunts ne font qu’accentuer leur pauvreté.”

Est-ce un gros problème que des marques de vêtements annulent des commandes parce qu’en Occident les magasins sont fermés?   

“Il était immoral que les marques annulent des commandes alors qu’elles avaient encore des accords avec les fournisseurs. Pour ce motif, les syndicats aussi ont exercé de fortes pressions sur les marques. Certaines, mais pas toutes, ont annulé leur décision.”

Les marques de vêtements auraient-elles pu en faire plus?

“Je crois que oui. Nous observons aujourd’hui que certaines marques créent, çà et là, des fonds d’urgence en collaboration avec les syndicats, les employeurs, l’Organisation internationale du travail (OIT) et les organismes financiers. Le Cambodge pourra peut-être recourir un jour à ces fonds d’urgence. Mais jusqu’à présent, beaucoup de marques se comportent en victimes de la crise.”

Que peut faire C.CAWDU pour aider les ouvrier.ère.s?

“Notre priorité actuelle consiste à demander aux pouvoirs publics de ne pas retarder la subvention d’ancienneté et de ne pas retenir de primes de licenciement lorsqu’une entreprise ferme. Deuxièmement, nous voulons qu’en cas de suspension, les marques de vêtements paient 40% du salaire minimum. Cette somme correspondrait à 76 dollars; elle s’ajoute aux 70 dollars que les ouvrier.ère.s touchent aujourd’hui.”

De nombreux vêtements produits au Cambodge sont vendus en Occident. Que voudriez-vous dire aux consommateurs occidentaux?

“Je pense que, pour le consommateur, l’achat de marques et de vêtements doit être le résultat d’un choix réfléchi. Regardez dans quels pays les marques produisent, et si elles-mêmes et les pays en question respectent les droits du travail. Heureusement, grâce aux médias sociaux, les consommateur.trice.s sont bien mieux informé.e.s qu’avant.”

C.CAWDU dispose de partenaires puissants en Belgique. Avez-vous un message à leur adresser?

“Les syndicats du monde entier, et les gens qui désirent soutenir les travailleur.euse.s, doivent partager les bonnes leçons et les bonnes expériences entre eux et avec les autres. Nous devons unir nos forces et nos moyens afin de devenir plus forts. C.CAWDU n’a pas seulement connu des échecs, mais aussi des victoires. En ces temps où nous traversons des difficultés, nous n’avons pas d’autre choix que de nous unir et de devenir plus forts ensemble.”

Nous traversons des moments difficiles. Comment vous motivez-vous vous-même, ainsi que vos collègues, pour continuer d’avancer?

“Puisqu’une vie ne dure pas très longtemps, nous devons l’utiliser intelligemment. Il n’y a rien de mal à désirer de bonnes conditions de vie mais ne soyez pas égoïste. Partagez cette joie et ce bonheur avec d’autres. C’est une conception qui me motive et que je partage avec mon équipe.”

En complément...

Une grande quantité de nos vêtements, de nos outils électroniques et de nos aliments sont produits à l’autre bout du monde. Aujourd’hui, les entreprises peuvent délocaliser une partie de leurs chaînes de production dans des pays qui ne font guère appliquer les droits humains, les droits du travail ou les normes environnementales. Par conséquent, il faut absolument mettre en place une législation qui fasse en sorte que les entreprises respectent les droits humains et l’environnement dans toute leurs chaînes de production et tout le groupe d’entreprises. La société civile belge, y compris la CSC et WSM, lutte en faveur d’une législation sur le devoir de vigilance applicable à notre pays, à l’Union européenne et aux Nations unies. Le commissaire européen à la Justice, Didier Reynders, a promis de présenter, en 2021, une proposition législative pour l’ensemble de l’Union européenne. La CSC demande à la Belgique d’œuvrer immédiatement à une loi nationale. Notre pays peut ainsi influencer l’initiative européenne et, en même temps déjà, préparer les entreprises belges à cette rénovation du marché européen.

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