13 avril 2023

Aisée Atum et Josée Shimbi de la CSC Congo : deux syndicalistes au franc-parler et à l’humour décapants

Le 20 mars dernier, l’ACV-CSC et WSM recevaient à Bruxelles deux figures féminines majeures de la CSC Congo. Joséphine Shimbi et Aisée Atum. Réunies dans un même combat, pratiquant l’humour et le franc-parler tout en maîtrisant le langage diplomate, Mama Josée et Aisée ont pourtant deux tempéraments bien différents. La première est une femme expansive, à la belle maturité et au regard rieur. Aisée, elle, semble d’abord en retrait. Discrète, est-elle en train de faire son round d’observation ? Car du potentiel elle en a. Partie de la base, elle a démontré sa capacité à motiver ses troupes. Très complémentaires, c’était un pur bonheur d’écouter ces deux femmes. Nous avons décidé de relayer les propos de l’une sur le secteur informel, et de l’autre sur les droits des femmes, deux thèmes d’actualité en mars.

Joséphine Shimbi, le réveil d’une femme devenue syndicaliste !

Joséphine Shimbi Umba a commencé sa lutte syndicale dans une entreprise, la Société nationale des chemins de fer, où elle fut déléguée syndicale pendant 4 ans. « J’y ai suivi des formations et c’est important car la formation peut porter et apporter des solutions. Cela m’a permis de prendre conscience de là où je devais être ». Mais reprenons depuis le début…

« En fait, tout est parti de mon expérience personnelle, d'une maternité très difficile. J’avais demandé à mon entreprise une mise en disponibilité comme travailleuse comme les autres … J'avais pris mon papier, et j'ai écrit : voilà, je vais aller en mise en disponibilité. Comme l'entreprise, à ce moment-là, voulait se débarrasser d'un plus grand nombre, c'était le temps de la privatisation, tout de suite on m'a répondu : voilà tu peux partir. Partir dans quelles conditions ? En fait, c'était se débarrasser de moi. »

Josée part et lorsque son bébé naît, elle revient vers son employeur. « Mais non, c'est fini. Tu ne peux plus revenir… tu ne reçois même pas de décompte final, tu es sans rien. On m'avait mis à la porte comme ça. Alors finalement, je suis restée à la maison. Puis j’ai fait intervenir des gens. On m'a reprise en 1999. »

A ce moment-là, Mama Josée prend conscience de ce qui se passe dans le monde du travail ! Et se présente comme déléguée syndicale, ce qu’elle sera de 1999 jusqu’en 2003. Elle participe à tous les forums et toutes les formations. Jusqu’au jour où Angélique, de la Confédération syndicale du Congo (CSC), l’approche et lui propose de devenir permanente syndicale CSC. Et tout va alors très vite pour celle qui aime se faire appeler Mama Josée.

« Lors du congrès de la CSC Congo de 2003, j'ai été engagée comme secrétaire générale du Département National des Femmes Travailleuses de la CSC et ce, jusqu'en 2013, tout en étant chargée de la centrale professionnelle de la santé. » Aujourd’hui, elle est trésorière générale et vice-présidente de la CSC, en charge du genre et de l’économie informelle.

La CSC Congo est la première organisation syndicale de la RDC avec 6 millions d'adhérent·es. Elle a reçu 64.000 voix lors des dernières élections syndicales de 2013, et cela, dans l'administration publique, dans les établissements publics mais également dans les entreprises de l’économie formelle. Loin devant les autres syndicats. Aux yeux de Mama Josée, cette présence est insuffisante. Car en RD Congo, l’économie informelle est très importante !

« On ne s’est pas limité.es au secteur formel.  Car les travailleur.euse.s, que ce soit dans l'administration publique ou dans les entreprises, ne représentent que 5% des travailleur.euse·s de la population. Alors nous avons décidé de défendre et de former les travailleur·euse.s de l'informel ! Cela devait aussi être notre cheval de bataille. Voilà pourquoi, à la CSC CONGO, nous disons que chaque formel·e a son informel·le. Et en RDC, leur nombre est malheureusement très élevé. »


Les travailleur·euses de l’ombre, majoritaires en RD Congo !

Il y a les Kadhafi (rires), les vendeur·euses d'essence sur le marché informel. Les cambistes, qui changent l'argent sur les bords de route. Les mamas qui vendent des pagnes sur les marchés ou les couturières, les motards aussi, et tant d’autres.

Dès lors, la CSC Congo s’est lancée dans la conquête du monde informel. (1) « Informer, ce n'est pas facile. On a d’abord eu des réactions comme : Mama Josée, vous êtes là, C'est bien bon, mais qu'est-ce que vous venez faire dans mon affaire ? J'ai acheté quelque chose que je commence à vendre. Mais vous, qu'est-ce que vous venez faire dans mon affaire ?  Les travailleur·euses informel·les sont des gens qui ont lancé leur affaire seul·es, ils/elles ont leur propre organisation. » 

S’il a été très difficile d’approcher les acteur·trice.s de l’informel, Mama Josée dit avoir bénéficié des échanges Sud- Sud : grâce à la CSC, il y a eu des échanges à Lomé avec les syndicats de la Confédération Syndicale des Travailleurs du Togo (CSTT), qui étaient parvenus à pénétrer l’économie informelle. 

« On a pu profiter de cette expérience togolaise. Et savoir comment s'y prendre pour investir l'économie informelle ? Ça nous a vraiment beaucoup aidé·es. Maintenant, nous sommes représenté.es dans beaucoup de secteurs de l'économie informelle. Dans les entreprises formelles, nos axes d'intervention s'articulent surtout autour des droits du travail dans les entreprises. Mais au niveau des marchés, nous approchons d'abord les autorités politico administratives pour leur montrer l'intérêt d'avoir des syndicats dans les marchés parce qu'il y avait par ailleurs une fausse idée qui circulait au nom des travailleur·euse.s de l'économie : les acteur·trice.s de l'économie informelle n'étaient pas des travailleur·euse.s. Mais nous, on a dit : vous êtes un·e travailleur·euse à part entière. Votre bureau, c'est votre étalage, c'est votre champ. Parce qu'on ne doit pas fausser le marché. Puis, cela a commencé à prendre petit à petit et quand nous allons vers eux et elles, vers l'économie informelle, c'est plutôt pour les former par rapport à leurs droits. »

La CSC Congo a aussi besoin de former ses délégué·e.s, ses permanent·e.s. Et ce besoin est énorme. Josée Shimbi revient justement du Katanga, C’est une zone où opèrent les entreprises chinoises dans le secteur minier. Là, les travailleur·euses ne connaissent même pas leurs droits. Ils/elles sont vraiment exploité·es. C’est un travail qui ne peut se faire que si ces travailleur·euses peuvent avoir des représentant·s syndicaux·ales dans ces entreprises. Raison pour laquelle la CSC Congo lutte pour qu'il y ait des élections syndicales. Et pour que ses représentant·e.s soient formé·es afin de défendre les personnes qui les ont élu·es.

Aisée ATUM, patiente et engagée !

Aisée Atum est secrétaire générale de la Confédération Syndicale du Congo, la CSC Congo et coordinatrice nationale du réseau INSP!R Congo. Une femme discrète dotée d’une force intérieure qui lui a permis d’accéder à ces postes. Elle raconte.

« Mes débuts dans les mouvements, c'est l'histoire d'une jeune qui sort à peine de l'université en quête d'emploi. Et vous savez, en tant que jeune, souvent, on n'a peu de chance de trouver un emploi. Chez nous, on exige une expérience de cinq ans avant vous ne soyez engagée. »

Donc, il y a une seule option : travailler dans l’informel. Et Aisée Atum a commencé à travailler auprès d'une organisation qui évoluait dans la microfinance.

« Un jour, on reçoit la visite de deux dames d'une organisation et qui voulaient s'entretenir avec les femmes de la base. Parmi elles, il y avait Mama Josée. Il y avait aussi une autre dame, Angélique. Nous avons échangé et elles nous ont annoncé vouloir ouvrir un bureau de proximité dans un quartier périphérique de Kinshasa, pour permettre aux travailleur·euses du secteur informel de quand même avoir un point de rencontre à proximité. »

Aisée est intéressée et le dit. Mais l’équipe se constitue, provisoirement, et elle constate qu’elle n’en fait pas partie. Déterminée, elle réitère son intérêt et sa volonté d’engagement et… est finalement retenue pour travailler dans ces bureaux de la périphérie. Elle y preste comme bénévole. Elle n’a alors aucun contact avec les responsables qui gèrent la Confédération au niveau de la ville.

Un jour, elle reçoit la visite de 3 personnes, dont Uzziel (ndlr : Uzziel Twagilimana est actuellement Directeur Adjoint Programmes de WSM), qui sont venues voir la réalité du terrain. Et Aisée raconte : « Je dis faire 20 km pour venir au bureau mais quand il n’y a pas de transport, je ne viens pas. Mais ce jour, je dirais ‘Grâce à Dieu, j’étais là’. Et donc je me mets à intervenir. »

Aisée découvre alors que dans la délégation, il y a un responsable du département informel qui est tellement content de son travail qu’il lui dit en lingala : « Tu es une vraie femme, donc ce que tu fais là, ça nous honore. » Et les contacts se nouent.

« Des semaines après, je me retrouve au bureau et ce jour-là, la délégation belge, venue participer au congrès de la CSC, leur rend visite.  Et alors… ils demandent : « Est-ce qu’Aisée est là ? » (rires)

De fil en aiguille, Aisée est connue et demandée pour ses interventions à la Confédération. On dit d’elle : « Vous connaissez cette fille ? Non ? Vous devez la connaître. Cette fille, elle s'appelle Aisée. Elle fait du bon boulot au bureau de proximité, vous devez la connaître. » Et c'est comme ça que tout est parti. Elle fera encore deux ans de bénévolat puis sera engagée au bas de l’échelle.

Qu’à cela ne tienne, ce n’est pas une échelle qui va freiner Aisée. Qui monte, monte…et mobilise !

La femme doit être là où les décisions se prennent

« Le contexte, c'est 80 % de travailleur·euses informel·les. Ça, ce sont les statistiques officielles. Le secteur informel, c’est 98% ». ²

« Mais je vais parler des femmes. Aujourd’hui, il y a des formations, il y a des échanges entre les femmes d'autres entreprises, il y a des assemblées que nous organisons et les femmes ont pris conscience de leur rôle. Nous avons des femmes formées à la table des négociations et on arrive quand même à améliorer un tant soit peu la situation des femmes. Je vais citer l'exemple d'une entreprise où nous avons des femmes comme déléguées syndicales.  Chez nous, pour le congé de maternité, la femme a droit, selon la loi, au minimum : 14 semaines. Mais avec les négociations dans cette entreprise, on a négocié pour obtenir six mois des congés de maternité au lieu des quatorze semaines telles que la loi les donne, et avec le salaire plein. »

Il y a encore des injustices dont la femme est victime au niveau des entreprises et à l’amélioration desquelles les syndicats travaillent. Notamment les allocations familiales. Il y a certaines entreprises où les femmes ne bénéficient pas d’allocations familiales, tout simplement parce qu’elles sont mariées.

« (…) Donc vous allez voir que la femme lorsqu’elle est venue, elle était célibataire. Dix ans après, elle va toujours se déclarer célibataire. Son statut n’a pas changé parce qu'une fois sa déclaration comme femme mariée, elle perd les avantages des allocations familiales. C'est son mari qui la prend en charge, car c'est le chef de la famille. Donc c'est toutes ces injustices là que nous dénonçons. »

« Nous nous essayons de faire comprendre à la femme qu'elle doit être là où les décisions se prennent. Il y a également, par rapport à la maternité, la grossesse. Certes, ce n'est pas une maladie, mais la femme sait que quand elle est ‘grosse’, elle traverse certaines situations difficiles. Cela a nécessite quand même une attention particulière. Mais si la femme n'est pas là, c'est difficile pour les autres de penser à sa place. C’est par rapport à tout cela que nous faisons de la sensibilisation : pour montrer à la femme qui elle est, pour qu’elle prenne sa place. Parce qu’elle doit être là où les choses existent. »

Le dernier mot d’Aisée sur les personnes les plus fragilisées dans le monde du travail en RD Congo sera pour les jeunes. Elle revient sur son cheval de bataille : la formation !

« Les jeunes aussi ont des besoins spécifiques, notamment en formation. C’est pour cela qu’ils et elles doivent également être à la table de négociation. Et par rapport aux jeunes, nous avons également des comités des jeunes où ils et elles se retrouvent aussi pour parler de leurs problèmes spécifiques. »

 

  1. Lire l’article du CNCD : LE DÉFI D'ORGANISER LE SECTEUR INFORMEL, Sabine Kakunga, 2008
  2. « Sans doute, les statistiques sont aléatoires puisque, par sa nature, ce secteur échappe à tout contrôle », voir Enabel sur l’économie informelle en RDC : Open.Enabel - Belgian Development Agency / L'économie informelle en RDC

 


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