15 décembre 2022

L'effet papillon par Smritee Lama | Népal

C’était l’un des événements les plus attendus des supporters du ballon rond du monde entier, mais aussi l’un des plus controversé des dernières années. Lorsque vous lirez ces lignes, le rideau sera tombé sur la Coupe du Monde de football organisée par le Qatar. Or, la vague de critiques et d’appels au boycott qui a précédé cet événement est sans précédent. « Le fait que la Coupe du monde de football soit organisée au Qatar a permis que des progrès soient réalisés en faveur des conditions de travail des migrant·es. Mais cela ne signifie pas que ces droits conquis soient garantis de façon pérenne. Il faudra rester mobilisé·es. », prévient Smritee Lama, responsable syndicale népalaise. Invitée par WSM, le MOC et Beweging.net, elle était de passage en Belgique pour évoquer l’envers du décor de la Coupe du monde au Qatar, mais aussi le combat qui y a été mené. Rencontre.


« Si l’un de ces footballeurs venait à mourir durant un match de Coupe du monde, cette nouvelle ferait rapidement la Une des journaux du monde entier. Une attention bien plus grande que celle portée aux 237 Népalais morts au Qatar en 2021. » observe Smritee Lama, secrétaire nationale du syndicat népalais GEFONT, en charge des travailleurs et travailleuses migrant·es, pour démarrer ses interventions. Les inégalités de traitement envers les travailleur·euses migrant·es, Smritee Lama ne les connait que trop bien, elle qui a été étudiante et travailleuse migrante au Japon pendant une courte période, dont le mari travaille aux Émirats arabes unis, et dont la fille a étudié la médecine à Paris. « Avons-nous oublié que toutes les vies se valent ? Même dans la mort, les inégalités sont aussi grandes que les montagnes de l’Himalaya. », déplore-t-elle.

Le Népal est un véritable pays de migration, qui tire 28 % de son revenu national de l’« exportation » de main-d’œuvre dans des pays lointains. Sur une population de 29 millions d’habitant·es, le pays compte pas moins de 3,5 millions de migrant·es âgé·es de 17 à 40 ans. 60 % des familles comptent au moins un·e membre qui a migré pour travailler.

Si 10 à 15% de ces personnes sont hautement qualifié·es et migrent vers l’UE, les États-Unis, le Japon ou la Corée du Sud, les 80 % restants migrent vers les États du Golfe ou la Malaisie. Il s’agit dans ce cas de personnes moins qualifiées et plus vulnérables, qui s’endettent pour pouvoir partir. « Elles remboursent ensuite leurs dettes avec les revenus de leur travail. », explique Smritee Lama.

Le Qatar revient de loin

L’organisation syndicale GEFONT aide de nombreux·ses travailleur·ses de l’économie informelle au Népal, mais déploie aussi son action hors de ses frontières.

Au Qatar, la liberté syndicale n’est pas garantie. Les travailleur·ses migrant·es s’y trouvaient donc dans une position très précaire, face à des employeur·ses tout-puissant·es, s’arrogeant le pouvoir de déterminer si leur employé·e était autorisé·e ou non à changer d’emploi ou à quitter le territoire. Cette pratique, connue sous le nom de système de kafala, a engendré de multiples abus.  

Gefont a créé des groupes de soutien pour ses affiliés qui travaillent au Qatar. « Ils prennent la forme d’organisations socio-culturelles : ainsi, nous pouvons donner des formations et apporter une aide sur place. Comme les syndicats sont interdits au Qatar, nous les avons rebaptisés. », explique Smritee Lama.
En saison estivale au Qatar, le travail extérieur n’est normalement pas autorisé durant les heures chaudes, mais pour la construction des stades, cette interdiction a été balayée d’un revers de main. « Ils étaient pressés, explique Jeroen Roskams, chargé de programmes Asie chez WSM. La Confédération syndicale internationale (représentant plus de 100 millions de personnes, ndlr) a par la suite qualifié ce système d’esclavage moderne, perpétué par le gouvernement qatari et avec la complicité de la FIFA. »

Les pressions payent

Smirtee Lama se bat depuis longtemps pour que les travailleur·ses migrant·es aient plus de droits. La Coupe du monde au Qatar constitue donc une étape importante pour elle, en raison des souffrances endurées, mais aussi du combat qui y a été mené.

Une coalition mondiale de syndicats, l’Organisation internationale du travail (OIT) et plusieurs ONG n’ont cessé de dénoncer les abus en matière de droit du travail. « Il y a dix ans, par exemple, WSM a mis en place une coopération avec des partenaires tels que GEFONT au Népal », rapporte Jeroen Roskams, chargé de programmes Asie chez WSM. « Cette coopération a porté sur la formation et la préparation des migrant·es à leur départ à l’étranger, l’assistance juridique et la collecte de témoignages. C’est grâce à ces témoignages que nous avons pu plaider pour un changement au Qatar. Luc Cortebeeck, ancien président de la CSC et haut responsable de l’OIT a en effet utilisé ce matériel pour entamer les négociations et renforcer les requêtes de changement auprès des autorités qataries. »

En 2016, l’OIT avait transmis une série de recommandations au Qatar. Le pays avait initialement opposé une certaine résistance, mais mis sous pression, cet État du Golfe s’est alors montré disposé à apporter des changements.

Tous ces efforts ont contribué à supprimer le système de la kafala. Les travailleurs peuvent aujourd’hui changer plus facilement d’employeur ou quitter le pays. En 2021, un salaire mensuel minimum de 1.000 rials qataris – environ 240 euros – a été introduit. L’inspection du travail a également été renforcée au Qatar.

Et après la Coupe du monde ? D’autres défis à relever

Si des progrès sont clairement visibles au niveau du droit du travail au Qatar, de nombreux migrants restent fort vulnérables, surtout dans les secteurs qui sont un peu plus éloignés de la Coupe du monde. Smritee Lama : « La situation s’est surtout améliorée pour les travailleurs de la construction. Dans d’autres secteurs, comme celui du personnel domestique qui est un groupe particulièrement vulnérable, il n’y a eu que peu de changements. Il est difficile de changer la mentalité des employeurs du jour au lendemain. Certains d’entre eux continuent de considérer leur personnel comme des citoyens de troisième ordre. »

Que restera-t-il de ces changements après la Coupe du monde ? C’est là la grande question. « Les dirigeants qataris peuvent à nouveau apporter des changements, confirme Smritee Lama. Il ne s’agit pas d’accords internationaux contraignants, mais de lois nationales qui peuvent facilement à nouveau être levées dès que l’attention médiatique faiblira. Si le Qatar avait approuvé la convention 155 de l’OIT sur la sécurité et la santé, nous aurions plus de recours à notre disposition. Ce n’est malheureusement pas le cas. »

La lutte continuera donc, même si la fête du football est terminée. On observe également de prochains défis. L’organisation par l’Arabie Saoudite des jeux asiatiques d’hiver en 2029 qui vient d’être annoncée nécessitera aussi des chantiers de construction colossaux, avec de la main d’œuvre étrangère, dans un pays qui n’a pas aboli le système de la kafala. Ce sera aussi un point d’attention majeur pour les syndicats.

De la force des rencontres

C’est cette réalité méconnue dont Smritee Lama, secrétaire nationale du syndicat Gefont au Népal, est venue témoigner en Belgique en ce mois d’octobre. Elle a enchainé les rencontres, conférences, interviews, de Bruxelles à Verviers, en passant par Tournai ou Leuven.

Un sacré tour de Belgique, mais qui a donné l’énergie à celles et ceux qu’elle a rencontré·es de renverser des montagnes pour dénoncer ‘la coupe du monde de la honte’, et se mobiliser pour de vrais changements.

Smritee a de son côté été touchée entre autres par la rencontre aves les jeunes qui se mobilisent pour la justice climatique, et très émue par celle avec une travailleuse domestique sans papiers en lutte à Bruxelles. Des réalités différentes, des défis qui se rejoignent…

« Je me sens renforcée par les nombreux contacts de cette semaine. Il est très important d'avoir des liens avec des syndicats comme la CSC, qui défendent les droits des travailleur·euses belges employé·es par les multinationales également présentes au Qatar. Être informée de vos luttes et de vos progrès en Belgique est vraiment utile, cela nous rend plus fort·es lorsque nous négocions de meilleures conditions de travail avec ces mêmes entreprises à l'étranger. »

Définitivement un moment fort !

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