9 juin 2023

Forum Mondial de l’Economie Sociale et Solidaire (GSEF), mai 2023.

 

A Dakar, le réseau INSP !R a affirmé que l’économie sociale et solidaire est un outil essentiel pour atteindre la protection sociale universelle !

Par Santiago Fischer, chef du service « plaidoyer et recherche » de WSM

La ville de Dakar (Sénégal) accueillait du 1er au 6 mai 2023 plus de 5000 personnes issues du monde entier provenant de 250 villes et de 70 pays lors du Forum Mondial de l’Economie Sociale et Solidaire (GSEF). Le réseau INSP !R (connected by WSM)  y était présent avec la participation de WSM, IPROFOTH (organisation de soutien et de promotion des travailleuses domestique au Pérou), RIPESS-Amérique Latine & Caraïbes (Réseau International sur l’économie sociale et solidaire), l’AJE (Action Jeunesse & Environnement, Sénégal), le RAESS (Réseau d’Economie Sociale et Solidaire d’Afrique de l’Ouest),  ainsi que le réseau national rwandais INSP !R. Ces représentants ont pu, lors de leurs multiples interventions menées en collaboration avec les réseaux RIPESS intercontinental et RIPESS Europe affirmer que l’économie sociale et solidaire demeure un excellent outil qui permet aux populations d’accéder à la protection sociale universelle.


Pour les participants du GSEF, l’ensemble de la population mondiale a droit à des conditions de travail décentes, un revenu suffisant pour vivre dignement et doit pouvoir s’autonomiser et s’émanciper dans un monde vivable alors que le modèle économique dominant produit précarisation et destruction de notre planète. L’économie sociale et solidaire (ESS) constitue aujourd’hui un modèle socio-économique adéquat afin d’atteindre des objectifs de développement durable de l’ONU d’ici 2030. L’économie sociale et solidaire démontre partout sa capacité de transformation positive de l’ensemble de nos sociétés et de nos territoires. Chaque nouveau Forum GSEF nous rappelle que la puissance de l’ESS réside à la fois dans sa grande unité et sa grande diversité. Sa diversité la rend riche d’innovations et d’expérimentations dans le respect des cultures et des identités locales, toujours dans l’objectif d’aboutir à la démocratie et à la justice sociale et environnementale.

Le Forum GSEF 2023 de Dakar se tenait à un moment particulier.

D’abord, car nous sortons progressivement de l’épisode pandémique qui a eu des conséquences humanitaires, sanitaires, économiques et sociales dramatiques. Les organisations de l’ESS ont alors pu démontrer leur capacité de résilience et de solidarité avec les populations les plus touchées.

Ensuite, car nous ne sommes pas toutes égales et tous égaux face au modèle économique dominant. Il y a des gagnant.es mais il y a surtout des perdant.es. Les jeunes, les femmes, les migrants, les travailleur.euses de l’économie informelle et populaire ; et de l’économie des plateformes en sont particulièrement victimes.


Lutter contre les inégalités, changer de paradigme

L’économie sociale et solidaire, proposant un modèle économique fondé sur la coopération et non la concurrence, sur la primauté des personnes et de la nature avant les profits, est un moyen puissant d’inverser cette tendance. Notre monde est rythmé aujourd’hui par l’augmentation des inégalités et de la pauvreté, les guerres, les discriminations, et la succession des rapports alarmants du GIEC. Il nous faut un changement de paradigme donnant la priorité aux personnes et à la planète.

En mettant la priorité sur les conditions spécifiques des jeunes et des femmes qui subissent une précarité encore plus importante que le reste de la population, et dont l’autonomisation est un enjeu prioritaire, ainsi que sur l’amélioration des conditions de travail et de vie des travailleur.euses de l’économie informelle, le GSEF a été aussi l’occasion de rappeler les gouvernements locaux et nationaux à leurs responsabilités : il y a une nécessité de promouvoir la transition des économies informelles vers des économies collectives et durables pour rendre possible l’accès à la protection sociale des travailleurs(euses) qui vivent dans l’insécurité économique. Cela passe aussi par une facilitation de l’accès aux marchés, par le partage de services, d’expertises, de savoir, et de ressources mais aussi par l’accès à des financements adaptés et durables. Enfin, il faut surtout une reconnaissance de cette économie via des réglementations et lois qui permettent à l’ESS de se développer dans un environnement propice.


L’économie sociale et solidaire, un outil pour atteindre la protection sociale universelle

Les membres d’INSP !R présents lors GSEF à Dakar ont pu affirmer, aux côté d’un représentant de l’OIT, l’importance du rôle de l’économie sociale et solidaire dans l’accomplissement de la protection sociale universelle lors d’une session publique coorganisée avec le RIPESS intercontinental le 4 mai 2023. Cet atelier a permis de mettre en lumière, au moyen d’exemples concrets de terrain issus d’expériences des membres d’INSP !R,  la manière avec laquelle les initiatives d’économie sociale et solidaire jouent un rôle clé en faveur de la sensibilisation des populations à l’adhésion à des mutuelles de santé. Les intervenants ont également souligné le rôle de l’ESS quant à l’enregistrement collectif de leurs membres à des systèmes de sécurité sociale, leur permettant ainsi d’accéder à des systèmes de santé. Les organisations sociales présentes ont également pu démontrer la force des actions de plaidoyer et de revendication qu’ils mènent dans leur pays afin de pousser leurs autorités à mettre en place des régimes de protection sociale afin de sortir les populations de la précarité et leur offrir une vie digne. Enfin, d’autres expériences racontées ont également permis de visibiliser des initiatives d’Economie Sociale et Solidaire qui consistent à assurer elles-mêmes des prestations de santé, comme des services santé de base offerts aux populations vulnérables.


Quand l’ESS assure des prestations de santé

En République Dominicaine, le MOSCTHA, membre d’INSP !R, assure des prestations de santé auprès de populations migrantes haïtiennes au moyen de cliniques mobiles qui se déplacent de village en village. Cette initiative pallie l’inaction de l’Etat dominicain qui préfère fermer les yeux sur les conditions de vie de ces personnes.

Une expérience d’enregistrement collectif au système de sécurité sociale en République Dominicaine

Le syndicat CASC, membre d’INSP !R, a mis en place la mutuelle de santé AMUSSOL qui compte près de 60 000 affiliés, tous.tes travailleur.euses du secteur informel. AMUSSOL joue le rôle d’ « employeur virtuel » en récoltant des cotisations auprès des travailleuses. L’Etat dominicain, conscient de ses lacunes, a accepté de percevoir ses cotisations de cette manière et ainsi verser les prestations de santé à AMUSSOL, qui peut ainsi à son tour les distribuer auprès de ses bénéficiaires. Normalement, l’Etat est légalement tenu d’offrir une sécurité sociale pour tous.tes, mais il reconnait qu’il n’est pas encore capable de mettre en pratique cette décision politique.

Pour en savoir plus, lire la brochure « AMUSSOL : l’accès à la sécurité sociale pour les travailleurs de l’économie informelle en République Dominicaine ». (en espagnol)


Les membres d’INSP !R participant aux ateliers et sessions du GSEF 2023 ont pu partager leurs expériences de terrain en matière d’ESS.

Ils ont également participé activement à un atelier d’échange intercontinental organisé quelques jours avant en prélude du GSEF, en compagnie d’autres acteurs de la société civile, comme le syndicat sénégalais CNTS, le MDB (un acteur du micro-crédit actif au Bénin) , l’organisation belge ECHOS Communications, l’ONG Green (active au Sénégal et partenaire de l’ONG belge SOLSOC) et le RIPESS Intercontinental. Cet atelier préparatoire a permis d’affiner les positionnements d’INSP !R et de ces organisations afin de les rendre public lors du GSEF.

Les témoignages recueillis lors de ces échanges démontrent le rôle primordial de l’ESS dans la réalisation de la protection sociale universelle :

Pour Ernestina Ochoa, d’IPROFOTH (Pérou), une organisation sociale qui organise des travailleuses domestiques à Lima, « les travailleuses domestiques doivent être davantage protégées. Au Pérou, nous avons ratifié la Convention 189 de l’OIT sur le travail domestique qui a ensuite été transposée en loi. Cette dernière contient des dispositions visant à assurer un travail décent, notamment en stipulant qu’un contrat de travail doit être signé et que nous avons droit à des vacances. Il s’agit de sortir de l’informalité qui permet des abus de la part des employeurs qui sont bien à l’abri des regards de l’inspection du travail car cela se passe à leur domicile ! La loi prévoit également un régime de protection sociale pour ces travailleuses. Mais dans les faits, trois ans après son adoption, nous ne voyons pas encore de changements notables. Nous continuons donc à faire pression sur nos décideurs politiques afin de traduire ce texte législatif en réalité. En attendant, nous mettons en place des projets d’Economie Sociale et Solidaire, comme la fabrication et vente de produits textiles que les travailleuses domestiques trop âgées ou qui se retrouvent sans travail suite au Covid peuvent vendre afin d’obtenir des revenus essentiels à la survie. La prochaine étape est de mettre en place des caisses de solidarité auto-gérées qui nous permettraient de cotiser afin d’adhérer à un système de sécurité sociale. Au Sénégal, quelques jours avant le GSEF, j’ai pu voir de mes propres yeux un tel système à Mbour, dans la région de Thiès, avec l’action de l’AJE (membre d’INSP !R) et de groupes de femmes qui transforment des produits alimentaires afin de les écouler sur le marché sénégalais.  Cela m’a convaincu que cela fonctionne et apporte de grands bénéfices ! »

Judith Mukamana, secrétaire exécutive de l’AJE, a vanté les mérites de ces caisses auto-gérées mises en place par les femmes et pour les femmes. « Une véritable solidarité se met en place. Chacune comprend qu’il est essentiel de lancer collectivement une initiative dans le cadre de l’économie sociale et solidaire afin d’accéder à la protection sociale. Grâce à notre collaboration avec l’acteur mutualiste « GRAIM », membre d’INSP !R, nous proposons aux membres d’adhérer à une mutuelle de santé qui les protège elles et leur famille grâce à un accès aux services universels de santé. Et c’est un succès, qui s’explique aussi par le fait que nous faisons également un travail de sensibilisation massif sur les bienfaits des mutuelles. Face au manque d’aide de l’Etat, la société civile ne reste pas les bras croisés et agit ! »

Pour Séraphin Gasore, coordinateur du réseau national INSP !R au Rwanda (« INSP !R ZAMUKA »), l’accès au financement pour les initiatives d’Economie Sociale et Solidaire est bien le nerf de la guerre. « Dans mon pays, il existe un système de sécurité sociale universelle auquel toute la population est automatiquement enregistrée, gratuitement. Mais le pays manque d’opportunités en termes d’emploi, ce qui affaiblit les personnes car elles ne peuvent donc pas jouir d’une vie digne. Un système de financement de l’économie sociale et solidaire a été récemment mis en place, mais il comporte encore de graves lacunes qui empêchent la population de développer ses initiatives dans un environnement propice. Nous plaidons activement afin que l’outil soit davantage décentralisé afin que les décisions de financement prennent en compte les spécificités des localités et des populations. L’enjeu est énorme. Car avec des meilleurs revenus, les populations pourront améliorer leur sécurité alimentaire, bénéficier d’une meilleure éducation, etc. Il s’agit d’une amélioration globale de leur vie ! »

Pierrette Memong, secrétaire générale du Réseau Africain sur l’Economie Sociale et Solidaire (RAESS), est revenue quant à elle sur l’expérience vécue au Cameroun, où les lacunes du système national de protection sociale ont amené des femmes à développer, dans le cadre d’initiatives d’ESS à partir des pratiques traditionnelles, des méthodes alternatives visant à pallier ces manquements. « Au Cameroun, à partir de la mutualisation de leurs ressources au sein des différentes caisses auto-gérées développées au sein de leurs organisations, les femmes parties prenantes arrivent à combiner les trois logiques de prestations sociales ainsi que les services sociaux. Elles assurent ainsi la couverture de leurs besoins en santé et organisation des obsèques, quelquefois en s’affiliant à une mutuelle communautaire, ou en remboursant directement des frais à un malade qui s’est fait soigner. Elles renforcent leur capital par un système d’emprunt souple sur la base d’une caution solidaire (accès rapide à la somme sollicitée grâce aux procédures allégées, faible taux d’intérêt (1%), durée de remboursement adaptée à l’activité…). Elles sont en mesure de s’équiper. Le groupe peut en effet également se positionner comme caution si un membre veut acquérir un équipement sur le marché, soit à usage commercial soit à usage familial. Elles assurent des services sociaux comme une garde tournante des enfants, travaux champêtres rotatifs; assistances sociales diverses (aides financières ou prêts en cas de maladie/décès d’un membre ou d’un proche ; mariage, baptêmes, accouchement…). Enfin, elles contribuent à la création des infrastructures communautaires de leurs localités ».

La richesse du réseau INSP !R réside dans le fait de développer des initiatives d’Economie Sociale et Solidaire ancrées dans les territoires et tournées vers le bénéfice des populations. Axées sur les besoins cruciaux de ces dernières, ces initiatives constituent des sources de travail décent et partant, une possibilité de sortir de la précarité et d’accéder à la protection sociale universelle.  INSP !R tire sa légitimité et crédibilité des expériences de terrain que ses membres relaient et traduisent en plaidoyer politique. La demande que nous formulons est très claire : l’ESS doit être considérée comme une véritable source de création d’emplois qui favorise le travail décent. Elle doit pouvoir jouir d’une reconnaissance légale qui peut se matérialiser grâce à l’adoption de lois nationales, réglementations locales, conventions internationales. Pour se développer durablement, elle doit pouvoir bénéficier de financements appropriés et adaptés à sa nature. Les Conclusions Générales adoptée lors de la Conférence Internationale du Travail de l’OIT en 2022 ainsi que la Résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en avril 2023 sur ce thème constituent des pas dans la bonne direction car ils reconnaissent le rôle crucial de l’ESS ainsi que les défis à surmonter.

Angeles Carrion (coordinatrice du RIPESS-Amérique Latine & Caraïbes, organisation membre du réseau INSP !R) entend également profiter de ce momentum historique qui a vu l’adoption de deux résolutions internationales sur l'économie sociale et solidaire. « Ces textes consacrent le succès de la lutte sociale de nombreux mouvements dans le monde entier qui font pression de longue date pour cette reconnaissance de l’ESS ! Ces derniers demandent ainsi aux Etats des changements structurels. Il faut créer de véritables espaces de participation qui permettent aux acteurs de l'économie solidaire de proposer des alternatives au système économique traditionnel capitaliste. Ces mouvements proposent un programme radical de réappropriation des ressources productives les plus importantes (la terre, l'eau, l'argent et le savoir) par les travailleurs afin d'inverser leur appropriation en tant que marchandises qui a conduit à leur accumulation dans les mains de quelques-uns et à leur exploitation à outrance. Il est urgent de promouvoir des circuits économiques solidaires dans les territoires, en reconnaissant les pratiques culturelles particulières et diverses ».

Pour l’ensemble des membres d’INSP !R présent à Dakar, il convient désormais de s’emparer de ces textes afin de leur faire prendre vie dans la réalité et ainsi pousser les Etats à reconnaitre l’ESS comme véritable source de développement humain durable !

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